Allocution de Jean-Hervé Cohen, président du CSFEF

Hammamet, 13-15 octobre 2022

Camarades, nous sommes très heureux, d’être rassemblés ici, dans ce beau pays qu’est la Tunisie. La Tunisie, on s’en souvient, nous a fait vibrer en 2010 avec le fol espoir des printemps arabes qui sont nés ici et ont essaimé dans d’autres pays voisins: Egypte, Maroc, et plus tard en Algérie.

L’UGTT a été récompensée en 2015 pour son esprit de dialogue, mot que je tiens à souligner, par le prix Nobel de la paix, prix partagé avec plusieurs associations; peu de syndicats peuvent se prévaloir d’un tel honneur.

Le chemin n’a pas été facile pour venir jusqu’ici mais nous avons réussi à l’organiser enfin cette 18e Rencontre du CSFEF, avec vous, cher-e-s camarades physiquement ensemble, qui pourrez échanger, débattre, à la tribune, de la salle, en plénière ou en atelier et qui pourrez également discuter en informel pendant ces trois jours.

La plupart d’entre vous a fait un long trajet, il y a une cinquantaine de déléguées et délégués présents venus de 27 pays de la francophonie, ce qui est le format habituel de nos dernières Rencontres.

La francophonie syndicale

La francophonie, pour nous, ce n’est pas seulement l’usage ou la pratique d’une langue commune, qu’elle soit officielle, administrative ou langue fortement installée dans l’enseignement selon les pays. Oui le français est une langue que nous aimons et pour le CSFEF c’est la langue de l’action syndicale, car c’est le français que nous utilisons pour exprimer nos revendications que nous sommes unis au-delà des frontières, que nous pouvons écouter et comprendre ce qui se passe dans différents pays, que nous pouvons exprimer ensemble nos solidarités. Nous sommes donc très attachés à cette francophonie syndicale. Elle est née il y a 35 ans, juste après que les chefs d’État et de gouvernement eurent décidé d’officialiser l’espace francophone avec la création de l’Organisation internationale de la francophonie. Le sommet de la francophonie se tient tous les deux ans , cette année ce sera à Djerba, c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de tenir la 18e Rencontre du CSFEF en Tunisie.

Nous avons bien des choses à leur dire à ces chefs d’Etat et de gouvernement, par exemple en matière d’Education, d’accès à la santé, de reconnaissance professionnelle et nous ne voulons pas être écarté des décisions à prendre en ces domaines. C’est pour cela qu’il est important que le syndicalisme vive dans chaque pays ainsi qu’à l’échelle francophone.

Le virus a durement affecté l’éducation

La pandémie récente, avec ses soubresauts successifs a beaucoup perturbé notre manière de fonctionner. Notre Rencontre se prépare en amont, et depuis 2020, à chaque fois que nous étions prêts, il y avait une impossibilité de voyager de ou vers certains pays et nous ne voulions surtout pas faire une Rencontre « au rabais » avec ceux qui pouvaient se déplacer, les autres restant confinés chez eux.

La pandémie a affecté durement l’éducation, et je voudrais souligner l’implication particulière qu’ont eue les enseignant-e-s dans la façon d’accompagner leurs élèves pendant les moments difficiles qu’ils ont vécus. Nous avons tous été désemparé par la fermeture soudaine des écoles, les personnels renvoyé chez aux les élèves abandonnant leurs pupitres. Certains prétendaient avoir LA solution: le numérique, ils pensaient que la formation, les cours à distance se décrétaient du jour au lendemain. Mais quand on regarde la réalité, dans la majorité des pays francophones, on a eu beaucoup de difficulté à utiliser ces outils numériques, qui n’existaient pas toujours ou auxquels on n’était pas formé. Il faut bien reconnaître que pendant près d’un an, beaucoup de jeunes ont été privés d’éducation, et accusent maintenant un retard dans leur scolarité. Si je tiens à saluer malgré toutes ces embûches l’implication des enseignants, je voudrais dire également l’inconséquence, l’impréparation de certains gouvernement qui ont abandonné leurs enseignants pendant cette crise sanitaire. Sans parler de certains pays ou l’électricité, l’internet fonctionnent de façon intermittente, où ni les enfants ni les enseignants n’ont les équipements informatiques minimaux. Le CSFEF a démontré par ses enquêtes de terrain, et merci à vous de vos témoignages, que le numérique était loin d’être la solution idéale, que l’on pouvait également explorer d’autres pistes comme la télévision, la radio, les écrits en attendant le retour à l’école.

Mais le virus n’a pas tué le syndicalisme

La pandémie nous a mis en difficulté, puisque le syndicalisme c’est le contact, c’est le face à face, ce sont des réunions d’adhérent de militants, avec de vrais échanges et non des paroles par écrans interposés, ou s’expriment des vignettes, où l’on ne sait plus sur quel bouton appuyer pour couper le micro, lever la main, même si nous avons vite appris à utiliser ces plateformes de réunions virtuelles. Période difficile donc, mais nous avons tenu, vous avez tenu, car le CSFEF a observé que l’activité syndicale, certes ralentie et empêchée, ne s’était pas arrêtée, le CSFEF a rappelé que les revendications ne devaient pas être mises sus le tapis pendant la crise sanitaire. On a de nombreux exemples, dans différents pays, et c’est d’ailleurs le thème de notre première session où l’activité syndicale a rebondi, a évolué, a utilisé de façon pertinente certains outils numériques. Continuons ainsi à développer le syndicalisme dans les régions les plus reculées, continuons à faire vivre le syndicalisme international.

Du virtuel au présentiel

La préparation de cette Rencontre s’est appuyée sur nos expériences précédentes. Tout d’abord rappelons qu’en novembre 2021 nous avons organisé une Rencontre virtuelle avec tous les défauts que j’ai soulignés auparavant, la participation fut importante et nous avons pu mesurer à quel point les militants syndicaux étaient devenus des experts en réunion à distance avec cependant un bémol de taille, le problème des connexions défaillantes dans certains pays. En ce sens, le programme de la 18e Rencontre a été travaillé en profondeur en s’appuyant sur cette Rencontre virtuelle et sur les remontées que nous avons eues de votre part à ce moment. J’espère que vous vous y retrouverez, nous ne pouvons pas parler de tout, nous avons ciblé certains thèmes. Nous inscrivons cette Rencontre dans le cadre du sommet de la Francophonie qui a pour thème le numérique, c’est pourquoi nous avons préparé une session sur le numérique, avec une vision sans doute différente et moins idyllique, donc plus réaliste, que celles de nos gouvernements.

Une présence des femmes renforcée

En 2018, la 16e Rencontre se tenait à Paris, certains s’en souviennent, je reconnais des camarades « anciens » qui éraient présents mais je vois aussi de nouvelles têtes, plus jeunes, et c’est cela le syndicalisme, un mélange de générations qui permet la transmission.

Aujourd’hui je vois dans notre assemblée beaucoup de femmes alors qu’en 2018, nous avons déploré leur très faible représentation dans notre Rencontre, il y avait par exemple seulement trois déléguées africaines. Fort de ce constat, le Bureau du CSFEF a décidé de prendre des mesures volontaristes. Il y a eu des débats, des désaccords entre nous, cela n’a pas été facile, certains évoquaient les aspects culturels, d’autres la souveraineté de chaque organisation dans le choix des personnes déléguées. Le CSFEF a d’abord appelé chaque pays et chaque organisation à sa responsabilité mais cela ne suffisait pas, le CSFEF a donc également décidé de favoriser concrètement la venue de déléguées supplémentaires; j’ai personnellement veillé à ce que ces dispositions incitatives et volontaristes soient formalisées par un règlement intérieur adopté en 2019 et publié dans les Actes de la Rencontre virtuelle. Une nouvelle idée est à l’initiative des femmes Bureau du CSFEF, c’est celle d’une pré-Rencontre réservée aux femmes. Celle-ci a eu lieu hier, et d’après les retours que j’en ai eues, c’était un vrai succès et donc je félicite les femmes syndicalistes de cette initiative. Pour ma part, après avoir vigoureusement milité et agi pour une présence accrue de femmes dans les instances du CSFEF, je pense que l’idéal serait qu’il n’y ait plus besoin d’incitation ou de quotas pour que les femmes aient la place qui leur revient au sein de nos organisations et s’y expriment autant que les hommes.

La parole est au syndicalisme, aux syndicalistes

Cette Rencontre c’est vous qui allez l’animer, je compte sur vous ! On ne s’est pas vu depuis quatre ans, et le CSFEF a voulu donner une large place à la parole syndicale, dans toute sa diversité. Ainsi nous avons réduit le nombre d’invités extérieurs, il y en a peu mais c’est important d’avoir également un regard différent. L’association Solidarité Laïque qui est notre partenaire dans le réseau francophone contre la marchandisation de l’Education, le réseau éducation solidarité, la Confemen interviendront dans quelques sessions.

Les relations avec la francophonie institutionnelle

C’est d’ailleurs pour moi l’occasion de parler des relations que le CSFEF entretient avec la francophonie institutionnelle, dont l’OIF est le phare. Le siège de l’OIF est à Paris, nous y avions renu notre session d’ouverture en 2018, elle a aussi des représentations dans d’autres pays, dont la Tunisie. L’OIF dispose d’une structure consacrée à l’éducation et à la formation, c’est l’IFEF qui est basée à Dakar. C’est à l’IFEF par exemple que le CSFEF à organisé en 2017 avec d’autres associations le premier événement francophone sur la privatisation et la marchandisation de l’Education. Un exemple parmi d’autres des collaborations utiles avec la francophonie officielle est celui de la langue d’enseignement. La réalité dans les pays d’Afrique, vous le savez, c’est que les enfants qui entrent à l’école élémentaire ne parlent pas le français chez eux. Leur langue maternelle est le Wolof, le Pular, le Hassini, le swahili, le kirundi, etc. Or, toutes les études prouvent que l’apprentissage dans la langue maternelle améliore la réussite scolaire. L’IFEF et l’OIF font beaucoup, en terme de formation des enseignants notamment, pour que les premières années de scolarité puissent se faire dans la langue maternelle de l’écolier, le CSFEF les soutient dans ces initiatives car vous-mêmes êtes confronté à cette problématique dans vos classes.

Les organisations francophones de la société civile accréditées par l’OIF sont rassemblées au sein de la conférence des OING: ONG tout le monde connaît, organisation non gouvernementale, le I signifie internationale. Le CSFEF est lui-même accrédité et a participé à l’évolution de la conférence des OING qui s’est dotée notamment de plusieurs commissions thématiques (culture, numérique, femmes, …). Le CSFEF est particulièrement actif dans deux commissions thématiques, celle sur l’éducation, on s’en doute, et celle sur la paix, la démocratie, les droits humains. La démocratie ? souvent mise à mal avec les coups d’État, des camarades ici évoqueront sans doute ce qui s’est passé récemment dans leur pays, je pense au Mali, à la Guinée, au Burkina Faso ou au Tchad; elle est aussi mise à mal lorsque des chefs d’État se maintiennent au pouvoir pendant si longtemps et baillonnent les oppositions. Le CSFEF a été récemment élu à la vice-présidence de la commission sur la paix, la démocratie les droits humains et compte bien y jouer un rôle important au service des personnes qui sur le terrain se battent pour la démocratie. À ce titre, le CSFEF disposera également d’un siège sur les douze que compte le comité de suivi de la conférence des OING, en la personne de Jokebed Djikoloum, vice-présidente du CSFEF.

Exprimer sa solidarité, soutenir les enseignants syndicalistes en danger

Je sais que certains vivent dans leur pays des situations qui ne sont pas soutenables, que des militants syndicaux sont inquiétés, arrêtés, sanctionnés uniquement parce qu’ils défendent leurs collègues. Ailleurs ce sont les terroristes qui menacent le droit à l’éducation, au Niger par exemple, 800 écoles sont fermées à cause de l’insécurité dans les zones frontalières, d’autres pays comme le Mali vivent des problèmes similaires, les camarades nous en parleront. Le CSFEF continue inlassablement à exprimer sa solidarité avec ces personnes courageuses qui se battent pour leurs droits et les libertés, il interpelle publiquement quand il le faut les gouvernements. Je suis heureux quand certains camarades me disent en retour que ces soutiens du CSFEF, de l’Internationale de l’Education, de syndicats qui se mobilisent ont été utiles, les ont aidés. Les solidarités que nous exprimons envers nos camarades de Haïti, Djibouti ou autres peuvent sembler dérisoires face à leurs difficultés, mais elles restent un appui et un réconfort pour tous ceux qui luttent.

Alors oui, félicitons tous les camarades qui malgré leurs conditions de travail difficile, malgré les pressions de leur gouvernement, dégagent de leur temps pour animer la vie syndicale au service de leurs collègues et de l’éducation des jeunes.

Un président cède la place à une présidente

Cette 18e Rencontre est également particulière pour moi, j’ai été élu en 2016 à la présidence du CSFEF à Madagascar et après six ans de mandat, je vais céder la place, c’est bien normal. Ma succession est assurée par une candidate de valeur et je m’engage à ce que la transition se fasse de façon douce et efficace . Grâce à vous, j’ai fait des rencontres extraordinaires, j’ai découvert des pays, j’ai pu constater comment travaillaient les syndicats, j’ai visité des établissements scolaires, avec toujours un accueil chaleureux. Durant ces six années intenses à la tête du CSFEF, j’espère avoir été suffisamment à votre écoute et j’encourage les camarades qui veulent s’investir dans le syndicalisme francophone à le faire car c’est une expérience incomparable. Je vous dis merci de tout coeur d’avoir été toujours actifs et enthousiastes, je remercie également les membres du Bureau, particulièrement les membres sortant à qui nous rendrons hommage au cours de cette Rencontre.

Merci à vous de permettre au CSFEF d’être reconnu sur la scène francophone.

Vive le syndicalisme, vive la francophonie syndicale.