La paie des enseignants « Nouvelles unités » n’est qu’une question d’heures, si l’on s’en tient à un message phonique de la Secrétaire générale ad intérim de l’Enseignement Primaire, secondaire et technique (EPST), Christine Nepa Nepa Kabala, daté du 2 mai 2022, adressé aux Directeurs provinciaux. Elle précise que les listes de paie ainsi que les listings de suivi de la paie sont déjà disponibles dans les provinces. « La paie du mois d’avril ayant été déjà lancée, la paie des enseignants « Nouvelles Unités » fera l’objet d’une paie complémentaire à celle du mois d’avril 2022 et pourra débuter d’ici la fin de la semaine », écrit Christine Nepa Nepa.

En dépit de ce message téléphonique aux directeurs provinciaux, le ministre des finances va bloquer la signature des documents de décaissement permettant de débuter cette paie. Pour faire pression au ministre des Finances, Madame la Secrétaire général ad intérim, le Directeur de SECOPE et l’Inspecteur Général de l’EPST se rendent nuitamment à la cité de Mbanza-Ngungu où l’intersyndicale des syndicats des enseignants se réunit pour convaincre cette dernière de faire une déclaration menaçant de décréter la grève si le ministre des finances ne signe pas les documents de cette paie additionnelle. Après plusieurs tractations, l’intersyndicale concède à cette demande et fait une déclaration la nuit du 17 mai 2022 exigeant au gouvernement Sama Lukonde, de décaisser de manière « immédiate » et « sans condition », la paie complémentaire du mois d’avril des enseignants nouvelles unités et les frais de fonctionnement des établissements scolaires dans un délai de 48 heures. Il menaçait d’aller en grève au cas où ces conditions ne sont pas réunies selon leur ultimatum, selon politico.

Signalons par ailleurs que depuis quelques jours, le ministre de la Fonction Publique a annoncé une augmentation de 30 % sur le salaire de base des agents et fonctionnaires de l’Etat dès la paie du mois d’avril 2022 selon Zoomeco. Il sied de préciser que cette augmentation ne concerne pas les enseignants car ceux-ci un statut particulier par rapport à tous les autres fonctionnaires.

Un ciel toujours nuageux pour  la fin du phénomène Nouvelles Unités

Le ciel ne s’éclaircit pas  et d’aucuns se demandent à quand la fin du phénomène des nouvelles unités pour une partie des enseignants en République Démocratique du Congo ?

Ces enseignants engagés depuis de longue date et attendant être reconnus  par le service de la paie de l’Etat étaient pris en charge par les parents avec le système de motivation jusqu’en 2018. L’arrivée du président  Tshisekedi en 2019, mettra fin à ce système de la prise en charge des enseignantes et enseignants par les parents depuis plus de 20 ans et la mise en application de la gratuité de l’enseignement primaire, conformément à la constitution (Art.43, 18 février 2006) ainsi que Loi-cadre de l’enseignement National (n°14/004 du 14 février 2014). Cela supposait que l’État prenait en charge tous les enseignants et enseignantes. Mais très vite, la situation va devenir confuse suite à l’interprétation des deux lois. Pour certains, la gratuité devrait prendre le primaire et le secondaire et pour d’autres, la gratuité devait se limiter au primaire. Sur le terrain, il y a eu une dégringolade dans les avoirs des enseignants. Dans certaines écoles dites de prestige la prime des enseignantes et enseignants atteignait jusqu’à 500 dollars. La mesure d’interdire la contribution des parents fait en sorte que ces enseignants voient leur prime supprimée et devraient se contenter du salaire payé par l’État. Une majoration d’Octobre 2019 ne permettra pas d’apporter des solutions idoines, encore que cette majoration accentue les zones salariales (1ère zone : Kinshasa – Lubumbashi et Kisangani, 2ème zone : les Chefs-Lieux des provinces tels que Kolwezi, Kalemie, Kikwit, Kananga… et 3ème zone : les milieux ruraux). D’où la grève de 2020 et 2021.  Après les Négociation Mbuela en novembre 2021, le Ministre de l’EPST signa une lettre circulaire permettant aux écoles secondaires de revenir à la contribution des parents et de laisser ceux du primaire au compte de l’État. Cette lettre circulaire n’arrangera rien et malgré la nouvelle prise en charge des 70 220 nouvelles unités, personne ne sait avec exactitude combien elles sont et combien restent-elles.

Cette catégorie d’enseignant travaille avec les promesses du SECOPE (le service de la paie), que leur situation sera prise en charge par l’État mais hélas, comme on dit en langue lingala (zela zela, mokomboso azangaki mokila = à force d’attendre, le gorille a manqué la queue).

Cette pratique parfois entretenue par les agents du SECOPE et ces promesses non tenues poussent certains observateurs à remettre en cause le travail qu’effectue le service créé en 1985 pour maitriser les effectifs du secteur d’une part et d’autre part mettre fin à l’évaporation fréquente des ressources financières.

L’opinion congolaise se pose la question si ce service est encore efficace et capable d’en finir avec ce phénomène conformément à sa mission de départ. Il y a un an, l’arrivée de l’actuel ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, un des critiques du secteur éducatif,  avait suscité beaucoup d’espoir pour la fin de phénomène Nouvelles unités. Ses sorties médiatiques avant sa prise de fonction avaient laissé croire que ce technocrate qui avait la parfaite maitrise des questions allait régler tous les problèmes qui gangrènent le sous-secteur de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique.

Malheureusement, cet espoir a vite tourné à la déception, à telle enseigne que l’opinion se demande si un extraterrestre ou un ovni descendrait du ciel pour en finir une fois pour toute.

En effet, pour mettre fin à ce phénomène, en décembre 2019 la signature du protocole d’accord de Bibwa, recommandait urgemment un contrôle biométrique de tous les enseignants sur toute l’étendue du territoire national pour quantifier le nombre réel des enseignants, calculer combien sont mécanisés et payés, combien sont hors serveur et doivent être mécanisés. Cette mission allait permettre certainement au SECOPE d’avoir une maitrise effective  des effectifs et mettre en place une stratégie pour mettre un terme à ce phénomène.

Le Service de Contrôle et de Paie des Enseignants, SECOPE, serait-il dans la magouille ?

Le service chargé  de contrôler les effectifs et préparer la paie des enseignants, SECOPE, devrait normalement s’en réjouir afin de mettre fin aux rumeurs et allégations qui courent souvent à son endroit sur la gestion opaque et une sorte de caisse de résonnance des autorités politiques au pouvoir.

Jusqu’à ce jour, on ne sait pas pour quelle raison les experts de ce service ont convaincu le ministère de l’enseignement primaire, secondaire et technique, que cette opération était très couteuse et pouvait avoisiner 1 milliard de dollars. Vu que le budget national est moins significatif et vu aussi que 70 % de ce budget serve à payer le salaire des fonctionnaires, il ne fallait pas prendre le risque en se lançant dans cette opération de peur d’asphyxier l’État, pouvant même provoquer un soulèvement populaire. Il semble que la vraie raison soit ailleurs.

En analysant la question en profondeur et sur les raisons de ce refus, il y a lieu de s’interroger sur les motivations réelles de ce refus. Soit le SECOPE connaissant ces magouilles, refuse de s’engager dans un contrôle strict et systématique de peur à mettre à nu tous les bras de la boite qui bénéficient des sommes astronomiques, soit le SECOPE agirait sous les instructions de la haute hiérarchie politique du pays de  ne rien accepter car le SECOPE serait une sorte de caisse à résonance des politiques au pouvoir qui s’en servent pour leur fin politique.

Ce même constat est fait par Cyril Brandt. Dans sa brillante thèse, il analyse systématiquement cette problématique. Au chapitre 4, au point 1.3, il cite Lumeka-Lua-yansenga dans l’univers des enseignants, une terra ignata, ou terra incognita . Lumeka cité par Brandt s’interroge : à combien seraient-ils, nos enseignants primaires et secondaires ?

 Depuis pour répondre à cette question de Lumeka et peut-être aussi pour faire taire les rumeurs, le SECOPE a mis en place son site web présentant des données que lui-même manipule.

Effectif des agents payés par l’État – Mai 2022

Effectifs des agents payés en mai 2022 Source : SECOPE, mai 2022. On apprend ainsi en avril 2022 la prise en charge de 70 220 Nouvelles Unités. Le site SECOPE propose une adresse email pour dénoncer des faits frauduleux : secope.denonciation@gmail.com

La main des politiciens véreux tue le système

Une autre vraie difficulté pour mettre fin à ce phénomène des nouvelles unités, reste les mains mises des politiciens véreux à la recherche des dividendes politiques. A chaque arrivée d’un nouveau ministre dans le sous-secteur, un nombre important des nouvelles unités s’ajoute. Si le ministre s’amène avec sa suite sans oublier les recommandés des partis politiques, il y a aussi ses subalternes qui en profitent largement pour injecter leurs pions. Durant les 18 ans de pouvoir du président Kabila, le ministre du sous-secteur en a profité pour mécaniser les écoles et introduire un bon nombre des nouvelles unités de sa province d’origine. Après les élections de 2018, d’autres ministres se sont succédé, perpétuant la même pratique à faire. Récemment, l’actuelle secrétaire Général ad intérim de l’enseignement primaire, secondaire et technique, a affecté plus de 50 personnes dans les différents services.

Les députés et autres notables des provinces ne sont pas à la traine. Chacun dans sa valise amène, les dossiers d’un cousin, d’un oncle, d’un beau-frère. Et puisque ces politiciens véreux cherchent les dividendes politiques dans leurs provinces respectives. Ainsi donc, il devient difficile de finir ce phénomène car chaque ministre, chaque politicien et personne influente tient à introduire son candidat. En fin de compte, on dépasse largement les effectifs et il devient de plus en plus difficile de mettre fin au phénomène.

Une volonté politique ferme de la haute hiérarchie et des réformes structurelles s’imposent pour en finir

L’éducation, sa gestion, le contrôle des effectifs et l’assainissement des finances du sous-secteur tournent tout autour de la volonté politique ferme de la haute hiérarchie et des reformes structurelles en profondeur de tous les services internes en général et du SECOPE en particulier pour mettre fin à ce phénomène qui devient comme l’encre indélébile sur la paume de la main. Il semble que la volonté politique soit présente. Les récents contrôles effectués par l’Inspecteur Général des Finances, IGF en sigle, ont conduit en prison deux hauts anciens responsables techniques, un ancien Directeur Général du SECOPE et un Inspecteur Général pour les malversations financières.

Un ancien Ministre du sous-secteur avait été même incarcéré pour des faits infractionnels de corruption. Cette volonté de contrôle systématique des fonds alloués à ce service, des effectifs et autre mécanismes de gestion est un élément positif, mais il faudrait aller plus loin pour dénicher les prédateurs qui tirent les dividendes sous la table, qui bénéficient des opérations retour, des commissions et les mettre tous hors d’état de nuit.

Quand on aura mis tous ces parasites hors circuit, il faudra en outre des réformes structurelles en profondeur pour revenir à la mission première confiée à ce service en 1985. Essayer de réformer la gestion des ressources humaines et de la masse salariale revient à enlever une énorme ressource de clientélisme et de politique électorale à des centaines de bureaucrates et de politiciens.

Le rôle des syndicats

Il faudrait aussi que les syndicats des enseignants participent activement à ce travail en jouant clairement et pleinement leur rôle, celui de défendre les droits de ses syndiqués et pousser le gouvernement à prendre en charge cette catégorie des enseignants. La tendance actuelle semble montrer que l’actuel ministre de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel, a mis la majorité des syndicats du sous-secteur sous sa coupe. Tous ces syndicats à l’obédience du ministre, ne savent plus lever la voix devant l’incapacité du ministre et le SECOPE d’assainir le secteur et prendre en charge toutes les nouvelles unités.

Mettre un terme au calvaire des enseignants dits nouvelles unités en République Démocratique du Congo, un phénomène à ce jour interminable, relève du courage des autorités politiques. Ni un extraterrestre ni un ovni, ne viendra pour apporter une solution, mais plutôt la volonté politique – réforme structurelle menée systématiquement, le travail des syndicats et le contrôle de l’Inspecteur Général des finances. L’ensemble de toutes ces variables  placés dans un même moule pourront assainir le milieu, arrêter la gabegie financière dans ce ministère et économiser des fonds astronomiques qui s’évaporent chaque mois. Ces fonds pourraient servir largement à prendre en charge les nouvelles unités.

Jacques Taty Mwakupemba

FENECO/UNTC

Kinshasa – RD Congo